Paris et sa vie trépidante de capitale, Paris ville lumière, Paris Paname… Tout cela, petit à petit, va prendre les jolies teintes sépia des cartes postales pour touristes en mal de couleur locale…
Paris, en effet, ne cesse d’être contaminé par cette gangrène kafkaïenne que constitue le remplacement quasi systématique des logements et locaux d’habitation par des sièges sociaux, des bureaux, et autres avaleurs de vie : dans l’indifférence générale, les lieux de vie deviennent lieux de travail.
Le Plan Local d'Urbanisme, adopté en juin 2006 par le Conseil de Paris, a clairement défini ses priorités quant à la gestion du foncier sur Paris : 50 % de bureaux, 30 % de logements. Résultat : on vide Paris de ses habitants les plus modestes, pour les remplacer par des bureaux destinés à des grandes entreprises. Non seulement c'est absurde en termes de déplacements, mais surtout il y a déjà beaucoup trop de bureaux à Paris par rapport à la demande !
Les immeubles de bureaux sont beaucoup plus faciles à gérer pour les propriétaires, bien plus faciles à revendre, et ils ne paient pas de taxe pour les immeubles inoccupés. Jeudi Noir dénonce cette absurdité.
Prenez le Boulevard Haussmann : belle avenue, en vérité, pleine de couleurs, d’affiches, grouillante à 9 heures, à midi et à 17 heures. Entre-temps, rien. Le soir, personne pour en peupler les solitudes, sinon les immenses panneaux annonçant qu’un grand groupe d’assurances a racheté un bel immeuble bourgeois, sept étages de pierres de taille, avec cariatides et balcons ouvragés, soit 4000 m2 de bureaux. Plus loin dans le boulevard, autre affiche, 2 500 autres m2 de bureaux : autres échafaudages, autres préfabriqués et… Tiens, le même groupe financier. Et là, à quelque distance, encore lui : Generali, multinationale d’assurance pesant 1 407 081 683 euros.
Voilà qui fait toujours marrer ; c’est comme Fernandel dans Crésus : à ce point vertigineux de richesse, si on rajoute un euro, on explose. Voilà des gens qui confondent droit de propriété et droit de tout rafler. Au Monopoly, lorsque l’un des joueurs se met à tout posséder, et à écrabouiller de dettes ses partenaires, ces derniers en ont ras-le-bol et vont voir s’il n’y a rien à la télé. Dans la gigantesque partie de Monopoly qui se joue à Paris, face à ceux qui ont les meilleures avenues, que pouvait faire Jeudi Noir, sinon redonner, pour quelques précieuses et fugitives minutes —les dernières avant que n’entre en action le bourdonnement des climatiseurs et des ordinateurs— un peu de vie à cet immeuble ?
Sitôt dit, sitôt fait. Forts de l’expérience des dernières actions, conscients de l’intérêt grandissant que nous portent les services de police, et désireux de frapper un grand coup pour dire au revoir et souhaiter bonne chance dans leur nouvelle vie aux 4 000 m2 de bureaux à l’angle de l’avenue de Messine et du boulevard Haussmann, nous donnons rendez-vous hier à 16 heures à Saint-Lazare, Cour de Rome.
Nous jouons sur du velours : sous l’œil peu amène de quelques messieurs racontant des secrets à leur talkie-walkie, il s’agit de deviner qui sort de la bulle du métro pour aller tenter de donner un petit coup d’aiguille dans celle de l’immobilier, puis d’aborder discrètement le quidam et, enfin, de l’envoyer en douce au second point de rendez-vous au 134 boulevard Haussmann : de vrais sioux, vous dis-je. De fait, nos amis les gardes mobiles ne s’y attendaient pas, puisqu’à 16h30, ils arrivent à vingt, casqués, genouillés, carapaçonnés comme à la parade, et se mettent, sur deux rangs, face à la sortie du métro. Évidemment, ils devaient s’attendre à un sitting devant la gare, et ne se doutaient pas que tout se jouait à quelques centaines de mètres… Ils parviennent à arrêter un groupe à Saint-Lazare, un autre à Miromesnil, mais le gros des troupes leur a filé entre les doigts et entre à l’heure H dans le bâtiment.
Des ouvriers étaient présents, nous les avons rassurés en promettant de ne rien dégrader, et nous avons sympathisé avec eux autour d'un verre de mousseux. C'était l'occasion de faire connaissance avec les nouveaux militants qui nous ont rejoints pour cette action.
En quelques minutes, une trentaine de personnes s'installent sur les échafaudages qui surplombent le boulevard Haussmann, nous étendons les banderoles «Réquisition étudiante», «Trop de bureaux à Paris», «Ni LRU, ni à la rue», etc. Un attroupement se forme au sol, caméras et passants. Les slogans fusent : «Bureaux partout, logement nulle part», «Génération Tanguy, merci Sarkozy»... Au bout de quelques minutes, la police arrive, avec fourgons de gardes-mobiles.
Un peu vexés de s'être fait prendre de court, ne pouvant pas nous déloger sur les échafaudages, les policiers bloquent les accès et arrêtent des jeunes dans la rue pour sauver la face. Ils arrêtent également un membre de MACAQ et des militants du DAL. Au bout d'une heure de fête sur l'échafaudage, nous négocions une sortie sans interpellation et la libération de nos camarades. Juste à temps pour croiser Hollande au ministère de la Crise du Logement, rue de la Banque, qui y faisait hier sa première apparition...
(Photo : William Hamon sur Flickr.)
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