09/04/2006

Jeunesse, où est la relève ?



La crise actuelle n'est pas uniquement politique, elle est surtout créative.
Jeunesse, où est la relève ?

par Laurent BASTIDON et Sofiane BOUKHARI
QUOTIDIEN LIBERATION : mardi 04 avril 2006

Par Laurent Bastidon et Sofiane Boukhari
créateurs de la revue l'Alternatif (lalternatif)

Le flot d'images déversées de notre génération anti-CPE nous ramène, une fois de plus, une vague de nostalgie post-soixante-huitarde déconnectée de notre réalité. Si l'on se limite à ces images, l'analogie tient presque de la perfection : mêmes slogans, mêmes gavroches, les éternels pavés de la Sorbonne, les mêmes baisers de jeunes couples amoureux s'étreignant tandis que les CRS chargent derrière eux. Pour un peu, nous serions les héros bohèmes d'un film de Bertolucci, avec Paris comme décor idéal. Il n'y a qu'à compter le nombre d'appareils photo, de caméras numériques, de jeunes rêvant de passer à la télé ou envoyant des SMS à leurs parents pour dire «Alors, tu m'as vu ?» pour constater cette fictionnalisation du réel. Mais nous ne sommes pas les enfants élevés par le paternel de Gaulle voulant jouir de la toute nouvelle société de consommation. Nous sommes les enfants du chômage, de l'austérité maastrichtienne, de la crise. Nous défilons avec des Nike et nous nous gavons de McDo. Nous ne baisons plus à tout-va puisqu'il y a le sida. Nous avons connu Jean-Marie Le Pen au second tour d'une élection présidentielle, nous avons vécu en direct la chute du mur de Berlin, nous avons été les spectateurs les plus attentifs du 11 septembre 2001. Nous maîtrisons l'Internet, les joysticks, nous faisons des films avec nos portables et racontons nos histoires de manifs, le soir, sur MSN. Notre génération est celle des images de la société de communication triomphante.

Cependant, il ne faut pas réduire le débat à une simple lutte contre un nouveau contrat bâtard car le marché du travail est déjà aujourd'hui tout ce qu'il y a de plus précaire. La jeunesse dans la rue rêve du maintien du CDI comme contrat type alors que les CDD, stages ou contrats en intérim sont déjà la norme dans des secteurs comme le télémarketing, l'hôtellerie-restauration, les médias ou la culture. Nous devons combattre de manière globale cette précarité qui s'étend par l'émergence de nouvelles formes éducatives, institutionnelles, sociales, économiques, politiques, médiatiques, et surtout culturelles, en phase avec les attentes et les possibilités de notre génération. La création est la clé pour affronter le réel et rompre avec un système qui exclut les jeunes avant même de les avoir intégrés. Dernièrement, nous avons eu l'exemple de ce que crée l'abstraction des réalités de notre génération. Tandis que les étudiants défilaient dans la rue aux côtés de leurs pères syndicats, les députés réunis en minorité à l'Assemblée nationale votaient, à la nuit tombée, la loi sur le droit d'auteur. Celle-ci pourrait enterrer l'espoir d'une réappropriation de l'espace culturel par notre génération en assurant aux monopoles de l'industrie culturelle l'avenir de la création numérique. A travers le combat contre le CPE, c'est le déclin de la création qui pointe, à l'image du déclin politique. Combattre le CPE et l'hypocrisie gouvernementale, refuser cette période d'essai de deux ans et un licenciement sans motif, c'est essentiel pour la dignité, mais est-ce suffisant pour changer la situation sociale de notre jeunesse ? Où sont les contre-propositions concrètes et réalisables de la gauche, des syndicats ? De nouveaux pseudos emplois-jeunes pour lutter contre le chômage. La seule solution cyclique et pathétique du «pilotage à vue» socialiste en période de gouvernance.

Si nous ne voulons pas régulièrement avoir des manifestations désespérées contre le «pire que tout», que ce soit contre le FN ou contre le CPE, sans aucune issue constructive, à la fois idéaliste et pragmatique, il est nécessaire que les jeunes s'engagent dans la création. Redouter la précarité ne doit pas empêcher la création. Car un pays sans création est un pays qui n'écrit plus son histoire. Il faut que notre génération s'engage dans toutes les sphères de décision de ce pays. Notre jeunesse doit enfin participer à la modernisation du système éducatif archaïque. Elle doit s'activer à la création de nouveaux syndicats afin de relooker un syndicalisme français complètement dépassé qui a largement contribué à bloquer ce pays et précarisé la jeunesse par de nombreuses décisions d'un autre temps, notamment au niveau éducatif.

Notre génération doit également s'engager dans les partis politiques afin de changer l'échiquier sénile. Elle doit aussi à tout prix créer de nouveaux médias, aidée des nouvelles technologies, afin d'apporter de nouveaux moyens d'expression, de donner la parole à une jeunesse non représentée. Elle doit s'activer dans la création de nouvelles entreprises pour s'attaquer de front, et avec force, à la mondialisation. Enfin, elle doit aussi renouer avec cet élan créatif artistique si important que ce pays est en train de perdre. La culture française est en danger dans un monde où le virtuel est en train de supplanter le «réel» à tous les niveaux. Sans prise de conscience créative et sans aucun engagement dans les sphères de décision de ce pays, une nouvelle fois rien ne changera pour améliorer le quotidien de notre jeunesse descendue en nombre dans la rue. Tout recommencera alors... CPE ou pas, Front national ou pas, toutes les manifestations de jeunes citoyens que nous avons connues ne serviront à rien si notre génération est incapable de s'engager pour proposer de nouvelles idées englobées dans une vision moderne de notre société. Que recherchons-nous pour notre avenir ? Travailler dans une multinationale avec un éternel CDI ou travailler dans la fonction publique avec un statut stable ? Voilà les deux seuls avenirs épanouissants qui s'offrent à notre jeunesse si nous ne réagissons pas. CPE ou pas.

La crise française n'est pas aujourd'hui uniquement politique, elle est surtout créative. Où est donc la relève médiatique, politique, culturelle, éducative et artistique ? On l'attend toujours. Nous vivons dans une société où l'on s'ennuie à en mourir. De la télé à l'Internet, c'est une surconsommation d'images ineptes en tout genre qui ont envahi notre quotidien, entraînant désinformation et manipulation du réel. La révolte générationnelle est pour l'instant une révolte de façade. Elle combat légitimement un contrat abject avec des armes pernicieuses. Mais sans renouvellement créatif et sans nouvelles idées, notre génération s'enfoncera dans l'ennui et dans la frustration. La sécurité de l'emploi, c'est aussi se faire chier toute sa vie. Alors si notre jeunesse ne veut pas continuer à consommer et à être passive devant la culture asiatique et anglo-saxonne nous distillant à la fois le meilleur et le pire de la culture artistique mondiale, il est temps de proposer une nouvelle vision de la France, à la fois politique, éducative, syndicale, artistique et médiatique. La révolution culturelle aura-t-elle lieu ?


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